MAUDIT JAUNE
Aucune crainte, je ne vais pas attaquer, un fleuron, voire l’un des vaisseaux amiraux du groupe Pernod Ricard, mais essayer de répondre à une jeune aficionada qui , me prenant pour un Pic de la Mirandole taurin (1), me posa la question suivante : « pourquoi la couleur jaune est ‘elle maudite en tauromachie ? »
Dans l’inconscient collectif, cette couleur est associée à la Mort, teinte des trépassés, couleur des cierges (cireux).
C’est également la coloration des maladies graves, hépatiques, pancréatiques : ictère (jaunisse).
C’est également la couleur de la trahison, du mari trompé.
Dans le cadre de la religion catholique, cette trahison, (même signification pour l’Islam) est représentée par la robe jaune de Judas lorsqu’il « vendit » Jésus.
En 1215, le concile de Latran imposa une rouelle (2) sur les vêtements des juifs pour les reconnaître, sinistre prémice de l’étoile de David de la Shoah.
Benoit III, dernier pape d’Avignon appelait ses argentiers (banquiers) d’origine juive : les jaunes du Pape.
Un siècle auparavant, une autre sommité papale détermina cinq couleurs sacrées : blanc, noir, rouge, vert, violet. Le jaune étant exclus de cet arc en ciel religieux.
Il faut faire un distinguo avec la couleur or, la chair des dieux dans l’Egypte antique (métal très présent sur et dans les sarcophages).
C’est la couleur du soleil, de Dieu : on ne peut pas le regarder en face.
C'est la richesse, la noblesse, la foi, la thérapeutique (aiguilles d’acupuncture et sels d’or)
C’est la couleur des armes de la Papauté, de la tiare du Pape, du costume du maestro, les vertus du Divin.
Le jaune, c’est la couleur du soufre, de l’incroyance, de la félonie, de la traîtrise, des vices, du Malin.
A ce stade, on comprend mieux la symbolique des couleurs dans le monde de la corrida étroitement mêlé à la religion catholique.
Mais le milieu taurin a plus d’un tour dans son sac pour qualifier le jaune « professionnel » : revers des capes, de certaines muletas, voire des costumes.
Vieil or (oro viejo), champagne (champaña), canari ( canario), gualda (la plante reseda).
Pour les pelages de toros, cela se décline en melocoton (pêche), albahino (blanc jauni), jabonero (couleur savon jaunâtre).
Pour les élevages, certains « annoncent la couleur » au niveau de leur devise :
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Victoriano del Rio : negro amarillo
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Parladé : amarillo
D’autres contournent la difficulté
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Fraile : azul y caña (paille)
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Torrestrella : azul y oro
Bien sur les toreros n’échappent pas à la jaunophobie, mais certains pour l’exorciser ont porté des costumes jaunes : Luis Miguel Dominguin, Curro Romero, Palomo Linares.
Les toreros gitans en général et J M Manzanares (père) l’arborent.
Le malicieux Luis Francisco Espla lors d’un mano en mano avec le maestro précité fit le paseo vêtu de jaune et noir !
Jesulin de Ubrique se vêtit d’un costume jaune lors de la fameuse corrida des femmes à Aranjuez en 1994 où le public était 100% féminin…
Il le fit également pour le 150 ième anniversaire des arènes de Zafra lors d’un duo avec Espartaco (photo)
Voilà Elodie, quelques éléments de réflexion pour répondre à ta question « pourquoi le jaune est maudit en tauromachie ? » et comme tu es arlésienne tu n’ignores pas que la devise de la ville est « bleu céleste et or ».
Jacques Lanfranchi « El Kallista »
2012
(1)Pic de la Mirandole : philosophe et théologien du 15ieme, polyglotte ( grec, latin, hébreu, arabe, araméen) et synonyme de connaissance universelle
(2) rouelle : insigne de tissu rond de couleur jaune
Bibliographie :
Histoire et symbolisme des couleurs : JP Blanques mars 1997
In Toros 1927.1929
fau